Essai : Morgan, les saveurs d’antan mises aux goûts du jour

Il a existé un temps où les autos étaient, certes, moins performantes qu’elles ne le sont aujourd’hui, mais où elles transmettaient des sensations que les aides à la conduite, souvent bluffantes, ont fait disparaitre. Il y a encore quelques autos qui sont de cette eau avec une sorte de porte-étendard, une petite usine située en Grande-Bretagne, Pickersleigh Road à Malvern dans le comté de Worcestershire où l’on fabrique les Morgan depuis…1909 !

Un petit résumé pour ceux qui ne connaitraient pas

Cette entreprise était, au début, entièrement dévouée à la cause cyclecariste avec ses « trois roues » propulsées par un moteur de moto bicylindre en V aux performances ahurissantes pour l’époque et la première Morgan à 4 roues apparait en 1936. Elle a aussi un moteur 4 cylindres d’où son nom de 4+4 ! Cette auto a déjà toutes les caractéristiques qui vont présider aux destinées des Morgan, une carrosserie formée à la main sur un bâti en bois, du frêne pour être exact, un châssis métallique en échelle (et non pas en bois comme on peut le lire ici ou là !) un pont arrière rigide monté sur deux lames de ressort et un incroyable train avant à roues indépendantes mais à débattement (très) limité tel qu’on le trouvait déjà sur les cyclecars… de 1909 ! Tout cela a perduré avec des évolutions par touches, des motorisations variées, Ford, Triumph, Fiat, Rover et, selon le moment ou le modèle, des 4 cylindres, mais aussi des V6 et des V8. Cette véritable saga a été entretenue sans faiblir au fil des années, portée par le légendaire « fait main », des délais de livraison pouvant, parfois, s’allonger sur plusieurs années (!), la possibilité de faire réaliser « sa » Morgan selon ses envies, une présence constante sur les circuits où malgré sa conception d’un autre âge elle obtient des résultats surprenants et des fans dans le monde entier. C’est ainsi que Morgan a traversé le temps, les crises, les réglementations pratiquement sans fléchir.Evoluer tout en restant dans la légendeAfin de continuer à faire vivre la légende, Morgan se devait d’évoluer. C’est ainsi qu’en 2019 nait une nouvelle Morgan. Nouvelle dans ces entrailles car, heureusement, sa ligne intemporelle qui semble héritée des années 30 reste. Cependant avec seulement 3% de pièces identiques aux modèles précédents on aurait pu craindre le pire ! Cette carrosserie repose maintenant sur un châssis en aluminium à la fois plus léger et plus rigide, le train avant, dont la conception remontait à avant la WW I (!), est remplacé par une double triangulation et des combinés ressorts amortisseurs, le train arrière, lui, dit adieu au couple pont rigide/lames de ressorts et devient indépendant. Le freinage fait appel à quatre disques ventilés et le pont arrière à un autobloquant. Les deux modèles de la gamme sont motorisés par BMW, une collaboration qui date de la défunte Aero 8. Aujourd’hui deux modèles sont proposés, la 4 cylindres Plus Four, et la 6 cylindres Plus Six.

Un petit rappel en image

Morgan Plus Four, l’héritière

La Plus Four est l’héritière d’une longue lignée. En effet la Plus 4 (en chiffre) est présentée pour la première fois en 1950. Tout d’abord dotée d’un moteur standard Vanguard, la + 4 va connaitre beaucoup de moteurs : toute la série des Triumph, TR 2/3/4, puis un Fiat, ensuite un Rover et, en 2004, un 4 cylindres Ford de 155 ch. Elle représente le modèle de Morgan le plus vendu dans le monde. Afin de bien différencier la nouvelle génération, elle s’appelle maintenant Plus Four en toutes lettres ! L’auto qui nous est confiée par Welcome Automobile à Vernou sur Brenne ne peut renier ses origines britanniques, le vert métal (Alligator Green) n’est pas sans rappeler celui des Aston Martin de compétition des 60′ et, une fois décapotée, l’intérieur, habillé à profusion de cuir marron (Tan leather), tranche agréablement. Les roues à rayons en 15′ à écrou central ajoutent une touche de charme à l’ancienne à une auto dont la ligne ne semble pas avoir été modifiée depuis 1950 !

On pénètre à bord par les petites portières très échancrées d’autant que, pour notre essai, l’auto est dépourvue des Side Screens coulissants qui font office de glaces latérales. S’installer à bord demande un peu d’attention, particulièrement pour ne pas rayer les ailes qui font office de marchepieds, mais ne demande pas les contorsions exigées par une Caterham ou certaines supercars italiennes prestigieuses. Grâce aux quelques centimètres supplémentaires de longueur accordés par la nouvelle plateforme CX-Generation, une fois installé, ce n’est plus comme avant où c’était, en quelque sorte, le pilote qui devait s’adapter à la position de conduite étant donnée le peu de possibilités de réglages, maintenant sièges et colonne de direction sont entièrement ajustables. L’environnement fleure bon le roadster anglais traditionnel. Les portières ainsi que tout l’intérieur sont tapissés de cuir et les appuie-têtes sont siglés Morgan. Le tableau de bord et la console centrale sont recouverts de bois clair « Natura » et au centre de la planche de bord se trouvent le compteur, le compte-tours et une montre avec de bonnes vieilles aiguilles même si, derrière les cadrans, l’électronique gère tout. Derrière le volant, on trouve encore la jauge à carburant et la température moteur ainsi qu’un petit écran digital comportant quelques informations. Vous l’aurez compris, les Geeks et ceux pour qui une auto doit être, avant tout, le prolongement de leur vie virtuelle, peuvent oublier cette auto ! L’apport d’une direction assistée a permis de réduire le diamètre du volant. Bien que dépourvu d’Airbags, étant donné le faible volume de production (~700 à 800 autos /an), ce volant fait tache dans cet univers Néo-Retro, on le trouverait plus à sa place dans une citadine asiatique, heureusement d’autres modèles sont proposés en accessoires. Il est temps de mettre le contact (avec une bonne vieille clé !) et d’appuyer sur le bouton Start afin de réveiller le 4 cylindres BMW B48 Turbo. Notre Plus Four dispose de la BV ZF AT8 que l’on retrouve sur beaucoup d’autres autos mais, pour les Gentlemen Driver, une version avec une boite manuelle à 6 rapports est également disponible. Turbo oblige, la note d’échappement reste discrète. Les alentours de Vernou sur Brenne fourmillent de petites routes serpentant au milieu des vignes de Touraine. Elles sont bosselées et même bombées à certains endroits et sont un excellent terrain d’essais pour une auto dont la réputation n’est pas le confort pullman. Et bien vous pouvez chasser ce sourire narquois ! Certes? la plus four reste un roadster qui retransmet bien les sensations de la route mais les nouvelles suspensions et, surtout, les nouveaux sièges autorisent un confort relatif plutôt surprenant. Entendons-nous bien, nous ne sommes pas dans une berline mais dans un Roadster évoquant les années 30. Devant le pare-brise rectangulaire et vertical, un long capot ajouré, deux ailes « papillons » avec deux phares ronds comme projetés en avant et une communion avec l’environnement se chargent de vous le rappeler. Cependant l’apport de techniques plus modernes ont permis de ranger dans le tiroir des oubliés, les grincements du train avant, ceux de la carrosserie, pourtant toujours montée sur des bâtis en Frêne,  ou un train avant qui suit les défauts de la route et les sautillements du train arrière à lames de ressorts. La direction a gagné en précision même si, à cause des pneus en 205/60/15 qui n’ont pas la rigidité latérale de montes plus modernes, il subsiste un certain flou au niveau du point zéro. Curieusement, la boite de vitesses AT8, reconnue pour sa souplesse d’utilisation, se révèle plutôt rugueuse dans la Morgan et les freins, s’ils répondent présents, le font au travers d’une pédale un peu longue. La Morgan Plus Four, se montre parfaitement à l’aise dans tous les exercices. Le moteur BMW montre une belle souplesse dans les déplacements à basse vitesse et, avec seulement 1.013 kg à emmener, les 255 ch. et les 350 Nm de couple garantissent des performances actuelles avec un 0-100 km/h en 5.2 sec et 240 km/h en vitesse de pointe. Mais attention le pilotage, lui, ne bénéficie que de l’ABS en aide à la conduite et rien d’autre ne sert de garde-fou comme en sont gavées les sportives actuelles. Il faut donc réapprendre une certaine sensibilité volant/accélérateur d’autant plus si les conditions d’adhérence se détériorent. Mais peut être le plaisir de conduire est-il justement là, plutôt que d’être bluffé par toutes ces aides à la conduite qui nous annoncent, pour demain, la conduite autonome.

Morgan Plus Six, la version de monsieur Plus

Welcome automobiles a également mis à notre disposition une Morgan Plus Six. Comme son patronyme l’indique cette dernière hérite du six cylindres en ligne turbo BMW de la dernière génération de la Z4 que l’on retrouve également sous le capot de la Toyota Supra. Le rapport poids/puissance fait un bond en avant avec 340 ch. à 6 500 tr/min et 500 Nm de couple pour seulement 1.075 kg ! Elle n’est disponible qu’avec la boite de vitesse automatique à 8 rapports 8 HP 51 et annonce un 0-100 km/h en 4.2 sec et 267 km/h en pointe. La Plus Six qui nous est dévolue est très élégante dans sa robe gris/bleue métallisé (Ice Blue) et son intérieur cuir Dark Blue. Légèrement plus longue (+ 60 mm) et large (+ 106 mm), la Plus Six se différencie de la Plus Four au niveau du capot et des roues. En plus des nombreuses et traditionnelles ouvertures du dessus, le capot comporte deux importantes extractions d’air à l’arrière et deux autres directement derrière la calandre. Par ailleurs, les ailes avant comportent également six ouvertures afin d’aider à l’extraction de la thermie du gros 6 cylindres. Les roues, quant à elles, abandonnent les rayons traditionnels pour l’aluminium et, de plus, passent en 19 pouces. Si le cuir est toujours omniprésent dans l’habitacle, exit le bois pour une finition à la couleur de la carrosserie. Tout comme la Plus Four, on retrouve derrière le volant des commodos issus de la grande série et des palettes de changement de vitesse de petites tailles. Il n’y a pas de différence d’agencement du tableau de bord. A la mise en route le 6 cylindres fait entendre le chant que tous les BMWistes apprécient, mais il reste cependant discret et lors des longues accélérations, il chante plus de l’admission que de l’échappement. Si la Plus Four est déjà vigoureuse, la Plus Six peut se montrer très démonstrative. Avec le mode Sport, les accélérations vous collent aux sièges et demandent une attention que nous ont fait oublier les sportives d’aujourd’hui très encadrées par les aides à la conduite. Avec la Plus Six, point de tout cela, tout se passe entre le volant, la pédale d’accélérateur et le ressenti du pilote et des émotions il peut y en avoir, de celles que l’on pouvait ressentir dans une Cobra, une Bizzarini ou toute autre supercar des années 60. Il faut réapprendre à lire le macadam, à anticiper la courbure d’un virage aveugle etc. Avec cette monte de pneumatiques plus moderne, la Plus Six se montre plus directionnelle, plus précise du train avant et plus facile à placer et ce, curieusement, malgré une loi d’amortissement qui parait plus souple que celle de la Plus Four.Evidemment, la plus grande prudence s’imposera sur route mouillée comme les GT des années 60 déjà évoquées. La Plus Six est une fantastique machine à remonter le temps, d’un temps où pour être conducteur il fallait être un peu pilote et, de ce fait, elle n’est peut-être pas à mettre entre toutes mains !

Le prix de l’exclusivité

L’avantage du mode de construction artisanal, aussi bien pour la 4 ou la 6 cylindres, est qu’il est possible d’avoir pratiquement une Morgan unique tellement les combinaisons de couleurs extérieures et intérieures sont nombreuses. Effectivement, il est possible de choisir entre 23 couleurs différentes et même 24 si vous désirez faire réaliser votre propre coloris de carrosserie.Une teinte extérieure que vous pouvez marier avec 18 teintes de cuir, 7 de capotes et 16 de moquettes. Et la listes des options et des accessoires parait sans fin et tout cela un prix. Pour la Plus Four cela débute à 86.370 € en boite manuelle et 89.622 € en automatique séquentielle. Pour la Plus Six le ticket d’entrée est à 106.698 €, des prix qui peuvent s’envoler avec les options possibles. Il reste cependant une bonne nouvelle, en ces temps de disette automobile, les délais de livraison sont très acceptables puisqu’ils sont de plus ou moins 4 mois !

Nos sincères et amicaux remerciements à Welcome Automobiles à Vernou-sur-Brenne 37210 pour le prêt de ces deux autos pour en faire l’essai.

Photos : Alain Berson pour The Automobilist.
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